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​Quand vos proches mettent la main dans vos poches

February 28, 2019


Ce sont des histoires simples, sordides et tragiques de maltraitance et de sévices financiers.

Il y a d’abord les extorsions d’envergure commises dans le cercle de la personne âgée, comme celle qui s’est conclue par un jugement du Tribunal des droits de la personne, le 22 octobre dernier.

Âgé de 80 ans en 2012, Claude Provencher souffre depuis quelques années d’une maladie neurodégénérative qui diminue peu à peu ses facultés intellectuelles.

Une connaissance depuis quelques années, Thérèse Riendeau, qui a 18 ans de moins que M. Provencher, habite le même immeuble que lui. Elle témoignera que le 2 octobre 2012, elle accepte d’aller prendre un verre dans l’appartement de M. Provencher, en l’absence de sa conjointe. Deux jours plus tard, il lui remet 4000 $ comptant.

Entre octobre 2012 et avril 2014, une centaine de retraits au comptoir ou au guichet totalisent 229 111 $.

En tout, Mme Riendeau soutirera 303 325 $.

Inquiète et excédée, la conjointe de M. Provencher informe ses deux enfants de la situation. Leur père nie, puis finit par admettre avoir remis des sommes considérables à Mme Riendeau.

En avril 2014, M. Provencher signe une procuration pour l’administration de ses biens. Son fils dépose alors une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

Devant l’enquêteur de la Commission, M. Provencher affirme que Mme Riendeau a sollicité son aide en raison de ses difficultés financières et de prêts contractés auprès de personnes peu recommandables.

Cette exploitation d’un homme malade, vulnérable et intellectuellement diminué a mené celui-ci à l’endettement et à la précarité financière, « ce qu’il avait évité tout au long de sa vie », souligne le jugement.

Le Tribunal a condamné Mme Riendeau à payer à la succession de M. Provencher, mort en juillet 2015, la somme de 305 903 $ en dommages matériels, moraux et punitifs.

La pointe de l’iceberg

Il y a aussi les profiteurs périphériques, qui s’immiscent dans l’intimité des aînés isolés.

Anne Marie Gauthier est intervenante et coordonnatrice de l’organisme SAVA Montréal (Soutien aux aînés victimes d’abus), qui agit sur le terrain pour établir un premier contact avec les personnes victimes de maltraitance. Elle affirme que « 80 % de [ses] interventions, c’est de l’abus financier ».

« C’est incroyable ! C’est la pointe de l’iceberg. On est au tout début de quelque chose de catastrophique. »

— Anne Marie Gauthier, intervenante et coordonnatrice de l’organisme SAVA Montréal

Elle donne l’exemple du « livreur de dépanneur qui abuse de multiples personnes en utilisant de faux prétextes », un cas réel dont elle s’est occupée.

« Monsieur crée des liens de confiance avec les gens et leur soutire de l’argent », relate-t-elle.

Les victimes ne se perçoivent pas comme telles et ne le dénoncent pas.

Les petits gestes

Mais le plus souvent, la maltraitance consiste en de petits gestes en apparence anodins commis par des proches, des dérapages du quotidien comme ceux que décrit France Sylvestre dans les séances d’information qu’elle anime dans le cadre du programme Aîné-avisé.

« Souvent, c’est mal compris », observe-t-elle.

« Les gens ne prennent pas ça pour de la maltraitance financière si les enfants demandent un peu plus pour certains services. On amène maman chez le médecin ou faire ses courses, et on demande 50 $ pour l’essence. Mais c’est un prix excessif pour rendre un service. »

Mis sur pied conjointement par le Réseau FADOQ et la Sûreté du Québec, le programme Aîné-avisé a sensibilisé plus de 60 000 personnes à la maltraitance au cours des dernières années.

Une cible précise

Petits ou grands, insidieux ou flagrants, les cas de maltraitance financière envers les aînés sont suffisamment préoccupants et dommageables pour que Québec en ait fait une cible précise de son Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées 2017-2022.

« C’est tellement important qu’un peu plus de 20 % des mesures visent des objectifs typiques pour prévenir ou contrer la maltraitance financière », souligne Danis Prud’homme, directeur général du Réseau FADOQ. « On voit que ça prend de l’ampleur. »

Définir le mal

Pour prévenir le mal, il faut l’identifier.

« Si on ne sait pas c’est quoi, on ne sera pas capable de le dépister et de le prévenir », énonce Danis Prud’homme.

Le Guide de référence pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées, destiné aux intervenants, a retenu la définition suivante.

La maltraitance financière ou matérielle consiste en « l’obtention ou utilisation frauduleuse, illégale, non autorisée ou malhonnête des biens ou des documents légaux de la personne ». Il peut s’agir également « d’absence d’information ou de mésinformation financière ou légale ».

Elle peut se manifester sous les formes les plus diverses, comme le constate tous les jours Anne Marie Gauthier, qui fait depuis 2015 près de 500 interventions par année sur le terrain à Montréal.

« J’ai eu récemment un dossier où une personne aînée s’est retrouvée avec un dealer de drogue et un proxénète, relate-t-elle. Durant la nuit, les prostituées venaient faire leur travail dans la salle de bains de monsieur. Finalement, j’ai convaincu le monsieur de quitter ce milieu plutôt que de faire partir ces gens-là. On a réussi à résilier le bail. Des histoires rocambolesques : c’est comme ça que je peux décrire mon travail ! »


Des baby-boomers et des chiffres

Vous êtes trop jeune pour être victime de maltraitance financière, dites-vous ? Il n’y a pas d’âge pour être trompé par un proche. « Il y a des gens qui sont extrêmement autonomes à 85 ans, et d’autres qui sont en perte d’autonomie grave à 65 ans », souligne Germain Royer, agent d’éducation et de coopération à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse. « L’âge en soi n’est pas tant un critère. C’est souvent la maladie qui vient nous rendre très vulnérables. »

Les risques sont loin d’être négligeables et les baby-boomers, qui investissent l’âge vulnérable en cohortes serrées, feront bientôt partie des statistiques.

Le tiers des appels reçus à la ligne Aide Abus Aînés concernent la maltraitance financière (32,70 %), devançant de peu la maltraitance psychologique (31,5 %). « Depuis qu’on l’a mise en ligne, les appels n’ont cessé d’augmenter », souligne Danis Prud’homme, directeur général du Réseau FADOQ.

Sans surprise, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à être victimes de maltraitance financière, autant en raison de leur vulnérabilité que de leur plus grande longévité.

Dans les dossiers pour exploitation des aînés à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, on compte deux fois plus de femmes que d’hommes.

La très grande majorité de ces plaintes concernent l’exploitation financière.

« Au cours de l’année 2017-2018, on a reçu 230 appels – pratiquement un appel par jour ouvrable – concernant des dossiers possibles d’exploitation financière », relève Germain Royer. « Pour l’année 2017-2018, nous avons ouvert 54 dossiers, qui touchaient principalement l’abus financier. »

Les dossiers d’enquête pour exploitation des personnes âgées à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

2016-2107

29

dont 25 pour sévices financiers principalement (18 femmes, 7 hommes et 4 non identifiés)

2017-2018

54

tous pour sévices financiers principalement (36 femmes, 17 hommes et 1 non identifié)

2018-2019 (en cours)

28

dont 27 pour sévices financiers principalement (17 femmes, 8 hommes et 3 non identifiés)

Source : Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse

Comment la prévenir ?
Accroître la littératie financière

Il faut « augmenter la littératie financière des personnes âgées », affirme Marie Beaulieu, titulaire de la Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées à l’Université de Sherbrooke. Des personnes plus au fait des subtilités financières et plus indépendantes pour leurs transactions seront moins vulnérables à la maltraitance financière.

Prendre conscience du phénomène

La participation à des programmes de formation comme Aîné-avisé ouvre les yeux sur l’existence et la nature de l’exploitation financière.

« C’est le genre de truc dans lequel je crois énormément », insiste Marie Beaulieu. « Il faut amener les aînés à bien comprendre qu’ils n’ont pas d’obligations à donner et à céder aux pressions. »

S’entourer

« Les gens bien entourés, qui ont une vie active, même en perte d’autonomie, ça devient en soi une forme de protection », constate Germain Royer, agent d’éducation et de coopération à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse.

« C’est souvent dans ces contextes-là qu’on va nous signaler une situation et nous permettre d’intervenir rapidement, parce qu’il y a des gens autour pour observer. »

S’arrimer au réseau

« On veut demeurer autonome le plus longtemps possible, mais il ne faut pas oublier qu’il existe des réseaux sociaux et des services pour les gens en perte d’autonomie », rappelle Germain Royer.

Même si l’intervenant n’effectue qu’une visite mensuelle, il constitue un ancrage à l’extérieur, une référence.

L’union fait la force

Dans les séances qu’elle anime, France Sylvestre insiste sur l’autonomie, afin de réduire la dépendance et la vulnérabilité des personnes intimidées par la complexité des transactions électroniques.

« J’appuie souvent sur leur capacité : vous êtes capables ! »

Elle les invite à unir leurs forces. « Vous êtes un groupe. Ensemble, vous pouvez faire des choses qu’une seule personne ne peut peut-être pas faire. »

Donner un nom au bobo

« Ce n’est pas toujours de la mauvaise volonté », souligne France Sylvestre.

La petite incartade, issue de la facilité et de l’habitude, ne procède pas nécessairement de la mauvaise intention.

« Si on ne la nomme pas, ça peut perdurer, ça peut débouler, ça peut engendrer d’autre chose. » Il faut savoir dire : « Je me sens mal avec ça, ça m’inquiète, je crains pour mon avenir. »

Savoir intervenir

Quand il faut intervenir, la délicatesse est de rigueur.

« Notre but est de créer un lien de confiance avec la personne aînée pour la conscientiser sur la situation, sans compromettre sa sécurité », explique Anne Marie Gauthier, intervenante à l’organisme SAVA.

Le plus souvent, ce sont les proches ou les témoins qui communiquent avec elle, en requérant l’anonymat. « C’est alors à moi de jouer. »

Elle doit d’abord créer une brèche dans le rempart de l’isolement.

« Quand un premier contact est effectué à la porte, on va proposer de recevoir des appels d’amitié, par exemple du Carrefour communautaire Montrose », explique l’intervenante.

« Au fil du temps, la personne aînée peut être amenée à participer socialement à l’organisme de son secteur, et la personne maltraitante va souvent prendre du recul dès que la personne aînée est moins isolée. »


Des recours et des ressources
La loi contre la maltraitance

La Loi visant à lutter contre la malveillance et toute autre personne majeure en situation de vulnérabilité a été sanctionnée en mai 2017.

Elle oblige les établissements de santé et de services sociaux à adopter et à mettre en œuvre une politique de lutte contre la maltraitance.

Elle stipule également que tous les professionnels et prestataires de services de santé et de services sociaux ont l’obligation de signaler les situations de maltraitance qui toucheraient les personnes hébergées dans les établissements du réseau et les personnes en tutelle ou curatelle.

« Dans la loi, deux acteurs sont principalement ciblés pour recevoir les signalements : les commissaires aux plaintes dans le réseau de la santé et des services sociaux, et les policiers », explique Marie Beaulieu, titulaire de la Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées à l’Université de Sherbrooke. « La loi existe depuis 15 mois seulement, le réseau de la santé et des services sociaux continue à se structurer pour mieux appliquer la loi. L’adoption des politiques-cadres dans les établissements doit avoir lieu cet automne. »

La loi est encore peu connue des policiers et n’a eu que peu d’effet sur leur travail, observe la chercheuse. « On a fait un premier pas avec cette loi, mais on est loin de l’avoir implantée de façon optimale. »

Quelques ressources

Vous avez des questions, des doutes, ou même des certitudes ?

Vous pouvez contacter la ligne Aide Abus Aînés de 8 h à 20 h, sept jours par semaine : 1 888 489-2287.

Leurs intervenants vous guideront dans votre réflexion et vos démarches.

Les personnes qui habitent dans l’île de Montréal peuvent signaler les cas de maltraitance à Intervention SAVA (Soutien aux aînés victimes d’abus), au 514 885-6757.

Pour signaler un cas de maltraitance financière ou faire une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, composez le 1 900 361-6477.

Source: La Presse

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