Alors que son travail est de conseiller les producteurs pour éviter qu’ils ne se blessent à la ferme, Marie-Pierre Lemire a subi un coup dur à la suite de la chute qui a coûté la vie de son conjoint dans un silo à grains. À peine trois mois après l’événement tragique, la préventionniste et mère de famille se confie pour la toute première fois dans l’espoir d’éveiller les consciences du milieu agricole sur l’importance de son métier… et de la sécurité.
« […] S’il avait été attaché avec un harnais quand il est descendu dans le silo, ça ne serait jamais arrivé tout ça. »
La vie de la préventionniste Marie-Pierre Lemire et celle de ses trois enfants a littéralement basculé le 9 novembre 2018. Triste ironie du sort pour celle qui travaille sans relâche à prévenir des accidents. Son conjoint Marc-André Bélisle est tombé dans un silo avant d’être enseveli sous le grain à La Coop Covilac, de Baie-du-Febvre, alors qu’il effectuait des travaux de maintenance. « Quand il est parti de la maison le matin, il m’a dit : “Ça va être une grosse journée aujourd’hui, mais ça achève. […] Après, on va pouvoir relaxer un peu.” Il n’est jamais [revenu] vivant », raconte-t-elle, la voix cassée.
Marc-André Belisle a laissé dans le deuil sa conjointe Marie-Pierre ainsi que leurs trois enfants.
Marc-André Belisle a laissé dans le deuil sa conjointe Marie-Pierre ainsi que leurs trois enfants.
Le contremaître de 41 ans était pourtant un travailleur vigilant, selon les dires de son amoureuse. « […] Contrairement à ce que ça puisse paraître, c’était un gars prudent. Il faisait partie du comité santé-sécurité à sa job. Il prenait son travail à cœur et cette fois-là, je suis certaine qu’il a préféré aller voir lui-même dans le silo plutôt que d’envoyer un de ses employés », raconte avec conviction Mme Lemire.
Ce jour-là, les producteurs faisaient la file pour remplir le silo. C’était « une grosse journée » pour le maïs. Mais une panne est survenue. Marc-André a voulu régler le problème rapidement. Il est descendu dans le silo sans enfiler son harnais de sécurité et est tombé. L’ensevelissement l’a emporté.
Refusant de se laisser abattre malgré le drame, la douleur et les rêves brisés, Mme Lemire s’est investie d’une mission.
Dans un discours riche en émotions, prononcé lors du colloque en santé et sécurité de l’Union des producteurs agricoles (UPA) le 7 février à Shawinigan, elle a lancé un cri du cœur pour passer à travers son deuil et créer, espère-t-elle, une onde de choc auprès de son auditoire et de toute la communauté agricole.
Ce qu’elle souhaite maintenant, plus que jamais, c’est d’en finir avec la négligence qui fait encore trop de victimes en agriculture. « Souvent, comme préventionniste, je me fais dire : “De toute façon, ce n’est pas grave si c’est dangereux. Je n’envoie jamais mes employés faire ça, c’est moi qui y vais” ». « Moi, ces réflexions-là, je n’en veux plus », a-t-elle réagi en entrevue après son discours.
Encore sous le coup de l’émotion lui aussi, le trésorier et directeur des finances et des technologies de l’UPA, Denis Roy, qui animait le colloque, a profité de l’occasion pour faire valoir la pertinence d’exposer des témoignages comme celui de Marie-Pierre Lemire. « Juste le fait d’aller porter ce message, ça en vaut la peine. Ça change des vies », considère-t-il.
Selon les délais habituels, le coroner ainsi que la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) devraient livrer leur rapport ainsi que leurs recommandations d’ici la fin de l’année 2019.
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Marie-Pierre Lemire pratique la profession de préventionniste depuis 2014 à la Fédération de l’UPA du Centre-du-Québec. Au cours des dernières années, elle a rencontré près de 80 producteurs membres de la mutuelle de prévention de son organisation.
Sa mission est de veiller à ce que les agriculteurs appliquent la Loi sur la santé et sécurité du travail. « La Loi peut paraître un peu exigeante, mais les règlements ne sont pas là pour rien. [Les producteurs] peuvent avoir l’impression qu’on exagère alors qu’on est seulement porteurs du message. On n’est pas des inspecteurs de la CNESST [Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail]. On regarde ce qu’on peut faire chez eux et après ça, ça reste entre leurs mains », explique-t-elle.
Lors des visites annuelles chez les producteurs, elle peut exiger que des correctifs soient apportés afin de rendre conformes certaines pratiques et installations. Si elle constate lors d’une visite subséquente qu’un agriculteur a négligé de faire les ajustements nécessaires, celui-ci peut être exclu de la mutuelle de prévention. Le « privilège » d’en faire partie ne doit pas être pris à la légère, d’autant plus que cela permet de réduire le taux d’imposition des employeurs à la CNESST, soutient Mme Lemire.
Source: La Terre de chez nous
Rodrigo Bustos
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